La santé de l'ostéopathe : on en parle ?

« J’ai 38 ans, je passe mes journées à soulager les douleurs des autres… et le soir, c’est moi qui marche comme une personne de 80 ans. »
Camille (le prénom a été modifié), ostéopathe en libéral depuis dix ans, résume d’une phrase le paradoxe de sa profession : un métier tourné vers la santé, mais qui abîme souvent celle de ceux qui l’exercent.
Un angle mort des professions de santé
Quand on parle santé au travail, on pense volontiers aux infirmières, aux aides-soignants, aux chirurgiens, parfois aux kinés. Les ostéopathes, eux, restent largement absents des statistiques et des plans de prévention. Pourtant, ils cumulent plusieurs facteurs de risque bien documentés dans la littérature : gestes répétés, postures contraignantes, travail en force, longues journées debout, activité émotionnellement chargée.
À l’échelle mondiale, près de 1,7 milliard de personnes souffrent de troubles musculo-squelettiques (TMS), dont une part importante est liée au travail. Ces TMS figurent parmi les premières causes d’incapacité et d’absentéisme, notamment dans les métiers de soins.
Mais que sait-on, précisément, de la santé des ostéopathes ?
Des troubles musculo-squelettiques… dès les études
Première alerte : les douleurs apparaissent parfois avant même le diplôme. Une étude exploratoire menée chez des étudiants en ostéopathie montre une « prévalence importante » de troubles musculo-squelettiques du rachis, en lien avec la pratique des manipulations vertébrales et les postures adoptées lors des travaux pratiques.
Autrement dit, les futurs praticiens apprennent à manipuler la colonne vertébrale de leurs patients… au prix d’une sollicitation déjà excessive de la leur. Dans de nombreux instituts de formation, la question de l’ergonomie et de l’auto-protection du thérapeute n’est abordée qu’en marge des programmes, souvent de façon très théorique.
Résultat : les « mauvaises habitudes » se fixent tôt. On s’accroupit de travers pour être au niveau de la table, on force sur l’épaule dominante pour un thrust, on enchaîne les patients sans temps mort. À 25 ans, le corps encaisse. À 45, il présente la facture.
Quand le soin blesse le soignant
Une étude qualitative australienne a interrogé treize ostéopathes ayant subi une blessure musculo-squelettique directement liée à leur pratique. Tous décrivent des douleurs persistantes (épaule, poignet, dos), parfois invalidantes, qui ont durablement modifié leur façon d’exercer.
Certains ont dû abandonner des techniques qu’ils maîtrisaient pourtant parfaitement. D’autres ont réduit leur patientèle, réorganisé leurs journées, ou se sont résolus à travailler à temps partiel. Pour quelques-uns, la blessure a été un facteur de reconversion ou de départ anticipé de la profession.
Ce tableau rejoint ce que l’on sait de l’ensemble des professions de santé manuelles : les TMS d’origine professionnelle y sont fréquents, souvent sous-déclarés, et leurs conséquences ne sont pas seulement physiques. Les douleurs chroniques altèrent la qualité du sommeil, l’humeur, la disponibilité mentale. Elles peuvent, à terme, contribuer à un sentiment d’usure, voire à un découragement profond.
L’autre épidémie silencieuse : le burnout
La santé de l’ostéopathe ne se joue pas qu’au niveau des articulations. Elle se joue aussi dans la tête. Là encore, les données spécifiques manquent, mais les signaux venus de professions proches sont préoccupants.
Une étude menée auprès de résidents en médecine ostéopathique (les « DO » nord-américains) – certes dans un contexte hospitalier très différent de l’exercice libéral français – rapporte des taux élevés d’épuisement : 69 % déclarent un niveau modéré ou élevé d’épuisement émotionnel, 74 % de dépersonnalisation, et plus de la moitié un niveau important de burnout.
Les ostéopathes libéraux, eux, cumulent d’autres vulnérabilités : isolement professionnel, charge émotionnelle (douleurs chroniques, patients en errance médicale, détresse sociale), incertitudes économiques, difficulté à poser des limites (horaires extensibles, disponibilité par téléphone, difficulté à refuser un patient « en crise »). Des auteurs qui se sont penchés sur le burnout des praticiens de thérapies manuelles (notamment les chiropracteurs) soulignent le poids du travail physique, du stress de rôle (entre soignant, entrepreneur et communicant) et des exigences émotionnelles.
L’ostéopathe, souvent seul en cabinet, est à la fois thérapeute, comptable, chargé de communication, service après-vente… Cette polyvalence, parfois valorisée comme une liberté, devient un terrain fertile pour l’épuisement lorsqu’elle n’est pas encadrée par des limites claires.
Un statut d’indépendant qui expose
À ces risques physiques et psychiques s’ajoute un facteur très concret : le statut de travailleur indépendant. En cas de blessure ou de burnout, l’arrêt de travail se traduit immédiatement par une chute du chiffre d’affaires. Beaucoup d’ostéopathes retardent la consultation, minimisent leurs symptômes ou reprennent trop tôt, faute de filet de sécurité.
Dans ce contexte, la question de la protection sociale n’est pas un détail technique, mais un déterminant majeur de santé. Une complémentaire santé indépendant bien choisie peut couvrir une partie des frais de soins (kiné, imagerie, consultations spécialisées) et, parfois, proposer des dispositifs d’indemnisation en cas d’arrêt prolongé.
Reste que la culture du « prendre soin de soi » n’est pas spontanée dans une profession où l’on a longtemps valorisé la robustesse physique et le dévouement sans compter. Beaucoup connaissent sur le bout des doigts les recommandations de prise en charge de la lombalgie chronique… mais n’appliquent pas à eux-mêmes les principes qu’ils défendent auprès de leurs patients.
Et si on formait les ostéopathes… à préserver leur propre corps ?
Les données issues de la recherche en santé au travail convergent : la prévention des TMS repose sur un mélange d’ergonomie (adapter l’environnement de travail), d’organisation (rythme, pauses, alternance des tâches) et de formation aux « bons gestes ».
Pour les ostéopathes, cela signifie très concrètement :
- apprendre à régler finement la hauteur de la table en fonction de chaque technique ;
- varier les postures pour éviter la surcharge d’un côté du corps ;
- limiter le nombre de patients « physiquement exigeants » dans une même journée ;
- intégrer des micro-pauses actives, quelques minutes entre deux consultations pour mobiliser les épaules, le rachis, les hanches.
Certaines formations commencent à intégrer ces dimensions de prévention, d’ergonomie et de santé du praticien au cœur même de leurs programmes, au-delà de la seule technique manuelle. Des organismes proposent par exemple des modules sur la gestion de la charge de travail, la communication avec les patients douloureux, ou la prévention des TMS chez les thérapeutes. Ce type d’approche pourrait être systématisé dans la formation initiale comme dans la formation continue – via des formations dédiées à la santé au travail des soignants.
Le corps du praticien… et son cerveau
La recherche récente en ostéopathie s’intéresse aussi de plus en plus aux dimensions psychologiques de la douleur. Une revue systématique de 16 essais randomisés suggère que les interventions ostéopathiques peuvent avoir des effets favorables non seulement sur la douleur, mais aussi sur l’anxiété, la dépression, la peur du mouvement et la qualité de vie des patients.
Ironie de la situation : les mêmes praticiens qui contribuent à réduire ces symptômes chez leurs patients sont eux-mêmes exposés à des facteurs de stress analogues. La logique voudrait que les ostéopathes puissent bénéficier, au sein de leur cursus et de leur formation continue, d’outils similaires :
- repérage précoce des signes d’épuisement ;
- travail sur les croyances professionnelles (« je dois dire oui à tout le monde », « un bon thérapeute ne tombe jamais malade ») ;
- stratégies de régulation émotionnelle face à des parcours de soins complexes ou à la détresse des patients.
Là encore, l’enjeu dépasse le bien-être individuel : un thérapeute épuisé, douloureux ou désengagé a davantage de risque de raccourcir ses consultations, de se replier sur des approches techniques routinières, ou de manquer des signaux cliniques importants.
Vers une culture de la santé partagée
Faut-il, alors, s’émouvoir du « sort réservé » aux ostéopathes ? Sans doute, mais surtout prendre au sérieux ce que la santé de ces praticiens dit du système de soins dans son ensemble. Une profession jeune, en plein essor, mais encore peu intégrée aux dispositifs publics de santé au travail, peu étudiée par les épidémiologistes, et trop souvent laissée seule face à ses propres risques.
Parler de la santé des ostéopathes, ce n’est pas réclamer un traitement de faveur. C’est rappeler une évidence : on ne peut pas éternellement demander à des professionnels d’accompagner la douleur et la vulnérabilité des autres sans leur offrir, en retour, un environnement de travail protecteur, des assurances adaptées, une formation qui inclut leur propre santé comme un objectif à part entière.
La bonne nouvelle, c’est que les leviers sont connus :
- intégrer la prévention des TMS et du burnout dans les cursus et les formations continues ;
- renforcer les réseaux professionnels pour rompre l’isolement (groupes d’échanges, supervision, pairs référents) ;
- encourager les ostéopathes à considérer leurs propres soins (ostéo, kiné, activité physique, accompagnement psychologique) comme un investissement professionnel, et non comme un luxe coupable ;
- mieux informer sur les outils de protection sociale, qu’il s’agisse de régimes obligatoires ou de solutions complémentaires.
« Je n’ai plus envie d’être un héros, conclut Camille. J’ai envie de faire ce métier longtemps, et pour ça il faut que je m’écoute autant que j’écoute mes patients. »
Peut-être est-ce là, finalement, le cœur de la question : la santé de l’ostéopathe n’est pas un sujet périphérique. Elle est l’une des conditions de la qualité des soins que la profession pourra offrir, demain, à des patients toujours plus nombreux.
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